lundi 30 mars 2009

Radio-Canada demain

Il ne faut pas penser l'avenir de Radio-Canada avec un oeil dans le rétroviseur. Le diffuseur public-et non d'État comme trop de journalistes persistent à l'écrire--du 21ième siècle ne ressemblera pas à celui du 20ième. Radio-Canada n'échappera pas à la métamorphose que vit l'ensemble des médias et dont la portée semble échapper à plusieurs de ceux qui commentent les compressions annoncées la semaine dernière par la Société. Le discours dominant (Haro sur les Conservateurs) est davantage approprié aux restrictions budgétaires imposées par Ottawa (libéraux et conservateurs) au cours des années 1990 qu'à la situation actuelle liée à une hausse des coûts, et à la diminution des revenus publicitaires qui affecte tous les médias généralistes.

Il ne faut pas non plus faire table rase du passé. Faisons donc un peu d'histoire ancienne, pour mieux comprendre le présent marasme. Au milieu des années 1970 ( il y a une éternité!), après d'ardents débats devant le CRTC, la publicité avait été abandonnée à la radio de Radio-Canada, mais maintenue à la télévision. Dans les années 1980, Radio-Canada avait pris la décision, sans doute malheureuse, de compenser les premières diminutions de son financement public par une hausse de ses revenus publicitaires. Le financement public se rétrécissant toujours un peu plus, les revenus publicitaires se sont accrus, transformant graduellement le programme de la télévision. À un point tel qu'un membre de ses services de communications écrivait récemment que CBC était un télédiffuseur commercial recevant une subvention de l'État. L'incident en dit long sur la perception de leur rôle qu'ont certains radio-canadiens.

Aujourd'hui le financement des médias généralistes par la publicité s'essoufle. Les annonceurs choisissent de plus en plus souvent les boutiques spécialisées. La solution retenue par Radio-Canada il y a 25 ans pour pallier la baisse de son financement public ne tient plus. La Société se retrouve Gros-Jean-comme-devant. Seul un changement de cap radical permettra de sortir de l'impasse. Radio-Canada doit tirer les leçons de la crise actuelle et faire de sa télévision un véritable diffuseur public, comme l'est la radio, libérée depuis 1975 de la publicité et des contraintes qu'elle impose.

La variété des contenus dépend de la diversité du financement. Radio-Canada doit prendre au mot le ministre James Moore, qui dit souhaiter une télé publique différente des télés privées et lui soumettre un projet de financement fondé sur 1-l'abandon de la publicité à la télévision 2- une subvention pluri-annuelle stable (je sais que la suggestion n'est pas nouvelle) et 3-des redevances provenant des entreprises de distribution, câbles et satellites (le CRTC, qui a déjà dit non à cette demande, doit refaire au plus tôt ses devoirs à ce sujet). Cette proposition comporte sa part de risque, mais le risque n'est pas si grand puisque les revenus publicitaires ne cesseront de diminuer. Et nous verrons bien si le discours que tient le ministre est sérieux ou si les Conservateurs, comme le souhaitait jadis le Reform Party, cherchent toujours, de façon détournée, à se débarrasser de Radio-Canada.

Penser à demain, c'est aussi reconnaître l'importance grandissante du Web, dont Radio-Canada et CBC sont des acteurs-clés en matière d'information. La décision de la Société de protéger les nouveaux médias dans le cadre des compressions annoncées est porteuse d'avenir.En Angleterre, la BBC a fait de même, et plus encore, en décidant il y a quelques jours une hausse de 27% du budget de BBC Online au cours des trois prochaines années, alors que l'ensemble de l'organisation doit vivre une cure-minceur draconienne. ll faut éviter les virages trop brusques, puisque la télévision reste encore de loin le média le plus fréquenté, mais les tendances lourdes ne privilégient pas les grands médias généralistes qui offrent de tout pour tous.

P.S. Je vous invite à consulter le blog PressThink du professeur Jay Rosen, de la New York University. Il présente et commente les textes selon lui les plus marquants publiés aux États-Unis en mars et consacrés à la crise des médias . Deux collègues m'ont signalé cet important travail.Jay Rosen analyse depuis des années les changements en cours dans le journalisme.
http://journalism.nyu.edu/pubzone/weblogs/pressthink/2009/03/26/flying_seminar.html

lundi 23 mars 2009

Les réseaux informels

Je ne sais pas si c'est aussi votre cas, mais de plus en plus de collègues et amis, qui s'intéressent aux mêmes questions, m'envoient un nombre sans cesse croissant de liens et de références à des textes concernant les turbulences que connaît le monde des médias. J'avais été frappé il y a quelques années par le commentaire d'un des participants à une étude sur les jeunes et l'information qui disait: je n'ai pas besoin de consulter les médias, s'il se passe quelque chose d'important pour moi, quelqu'un va m'en informer. D'une certaine manière,je vis maintenant la même réalité. Des réseaux informels se créent sans qu'on les ait organisés, sans Facebook et sans Twitter.Et l'information vous arrive sans que l'ayez demandée.

Les quelques exemples qui suivent illustrent bien la pertinence de ce que j'ai reçu depuis quelques jours et que je n'aurais peut-être pas lu autrement.
-"When newspapers fold." Un article du Financial Times (16 mars) qui s'intéresse, entre autres, aux sources de financement qui pourraient remplacer les revenus publicitaires des quotidiens américains, en chute libre (les revenus publicitaires des journaux quotidiens ont chuté de 23% au cours des deux dernières années). L'auteur s'inquiète aussi des conséquences des difficultés financières de la presse sur la qualité du journalisme ( 20% des journalistes à l'emploi des quotidiens en 2001 ont perdu leur poste).
-"One Banker's Plan to Save the Newspaper Industry" ( Wall Street Journal.com, 19 mars).Une interview du directeur du "media program" de la Columbia Business School. Il explique que le problème des journaux est lié à l'endettement de la plupart d'entre eux, et à leur gestion. "It is that they have too much debt, not that they have stopped being profitable." Le même Jonathan Knee était aussi cité par le Financial Times.Dans les deux cas, il tient le même discours.Il critique la structure de coûts désuète des journaux et reproche aux journalistes de ne pas s'intéresser à ce que veulent leurs lecteurs.
-"Goodbye to the Age of Newspapers (Hello to a New Era of Corruption)". Un très long article du professeur Paul Starr, de l'Université Princeton, que publie le numéro de mars du magazine New Republic. Un excellent tour de la question et des conséquences du déclin et de la chute des journaux sur l'administration publique, ainsi laissée sans la surveillance de son principal chien de garde. "One danger of reduced news coverage is to the integrity of government." Starr craint aussi les conséquences de la crise sur la déontologie journalistique. "A financially compromised press is more likely to be ethically compromised."
-"Why It's OK for Newspapers to Die. "Un commentaire paru le 20 mars sur le site TechNewsWorld. L'auteure, Sonia Arrison, chercheure spécialisée en technologie au Pacific Press Institute,un think tank de San Francisco voué à la défense de la liberté individuelle, qualifie la crise qui secoue la presse de "creative destruction" (l'expression est tirée d 'un ouvrage de 1942 de Joseph Schumpeter, l'auteur du célèbre "Small is beautiful" ).À long terme, c'est une bonne chose pour l'économie, et pour le journalisme. "The Internet offers the potential for broader and deeper news reporting." Elle implore aussi ceux qui réclament l'aide de l'État pour sauver les journaux en difficultés de renoncer à leurs projets.
-"The Death and Life of Great American Newspapers".Un dossier du magazine The Nation, 20 mars. Le journaliste John Nichols et le professeur Robert McChesney, deux des critiques les plus sévères des médias commerciaux américains, proposent une intervention massive de l'État (un ensemble d'aides et autres politiques publiques) pour bâtir un nouveau modèle de presse aux États-Unis , "a free press "infrastructure project" that is necessary to maintain an informed citizenry, and democracy itself." Ils évoquent au passage le modèle français et les 600 millions d'euros que Nicolas Sarkozy propose de dépenser pour soutenir la presse au cours des trois prochaines années. Ils évaluent le coût de leur propre programme à 60 milliards $, sur trois ans.Cest en quelque sorte une réponse de la gauche au texte précédent -de madame Arrison! Et c'est aussi beaucoup d'argent.

Tous ces textes que l'on m'envoie (il m'arrive aussi d'en trouver moi-même quelques-uns!) sont intéressants.J'y apprends presque toujours quelque chose sur les médias étrangers, notamment américains. Mais rien sur le Canada.Il m'arrive de me demander si je ne suis pas intoxiqué et ne risque pas de confondre notre situation avec celle de nos voisins. Ces textes sont aussi redondants.Je relis souvent des données ou des explications que j'ai déjà lues.On cite souvent les mêmes personnes. Mais je peux difficilement ne pas les lire, de crainte de perdre une explication qui me permettra de mieux comprendre l'ensemble de la crise profonde qui transforme le monde du journalisme ici comme ailleurs. Curieux paradoxe enfin, l'immense majorité des articles que je consulte sur Internet proviennent de journaux ou de magazines-papier,qui sont les meilleurs analystes de leur propre infortune.

Mais pendant que je lis tous ces articles sur le journalisme et les médias ( sans payer, faut-il le préciser), je n'ai plus de temps pour m'intéresser au budget de madame Jérôme-Forget et aux réactions qu'il a suscitées. Le temps que l'on peut consacrer à s'informer est limité. J'ai souvent dit que chacun, enfermé dans sa spécialité et ses centres d'intérêt pointus, risquait ainsi de négliger les affaires de la Cité. Happé par la machine Internet, je deviens moi-même une illustration de ce que j'ai maintes fois déploré.

P.S.Ce blogue a été créé pour accompagner la production du film "Derrière la toile, le quatrième pouvoir", que Jacques Godbout et moi avons maintenant terminé.Je ferai bientôt un court bilan de mon "expérience" de blogueur.