lundi 30 mars 2009

Radio-Canada demain

Il ne faut pas penser l'avenir de Radio-Canada avec un oeil dans le rétroviseur. Le diffuseur public-et non d'État comme trop de journalistes persistent à l'écrire--du 21ième siècle ne ressemblera pas à celui du 20ième. Radio-Canada n'échappera pas à la métamorphose que vit l'ensemble des médias et dont la portée semble échapper à plusieurs de ceux qui commentent les compressions annoncées la semaine dernière par la Société. Le discours dominant (Haro sur les Conservateurs) est davantage approprié aux restrictions budgétaires imposées par Ottawa (libéraux et conservateurs) au cours des années 1990 qu'à la situation actuelle liée à une hausse des coûts, et à la diminution des revenus publicitaires qui affecte tous les médias généralistes.

Il ne faut pas non plus faire table rase du passé. Faisons donc un peu d'histoire ancienne, pour mieux comprendre le présent marasme. Au milieu des années 1970 ( il y a une éternité!), après d'ardents débats devant le CRTC, la publicité avait été abandonnée à la radio de Radio-Canada, mais maintenue à la télévision. Dans les années 1980, Radio-Canada avait pris la décision, sans doute malheureuse, de compenser les premières diminutions de son financement public par une hausse de ses revenus publicitaires. Le financement public se rétrécissant toujours un peu plus, les revenus publicitaires se sont accrus, transformant graduellement le programme de la télévision. À un point tel qu'un membre de ses services de communications écrivait récemment que CBC était un télédiffuseur commercial recevant une subvention de l'État. L'incident en dit long sur la perception de leur rôle qu'ont certains radio-canadiens.

Aujourd'hui le financement des médias généralistes par la publicité s'essoufle. Les annonceurs choisissent de plus en plus souvent les boutiques spécialisées. La solution retenue par Radio-Canada il y a 25 ans pour pallier la baisse de son financement public ne tient plus. La Société se retrouve Gros-Jean-comme-devant. Seul un changement de cap radical permettra de sortir de l'impasse. Radio-Canada doit tirer les leçons de la crise actuelle et faire de sa télévision un véritable diffuseur public, comme l'est la radio, libérée depuis 1975 de la publicité et des contraintes qu'elle impose.

La variété des contenus dépend de la diversité du financement. Radio-Canada doit prendre au mot le ministre James Moore, qui dit souhaiter une télé publique différente des télés privées et lui soumettre un projet de financement fondé sur 1-l'abandon de la publicité à la télévision 2- une subvention pluri-annuelle stable (je sais que la suggestion n'est pas nouvelle) et 3-des redevances provenant des entreprises de distribution, câbles et satellites (le CRTC, qui a déjà dit non à cette demande, doit refaire au plus tôt ses devoirs à ce sujet). Cette proposition comporte sa part de risque, mais le risque n'est pas si grand puisque les revenus publicitaires ne cesseront de diminuer. Et nous verrons bien si le discours que tient le ministre est sérieux ou si les Conservateurs, comme le souhaitait jadis le Reform Party, cherchent toujours, de façon détournée, à se débarrasser de Radio-Canada.

Penser à demain, c'est aussi reconnaître l'importance grandissante du Web, dont Radio-Canada et CBC sont des acteurs-clés en matière d'information. La décision de la Société de protéger les nouveaux médias dans le cadre des compressions annoncées est porteuse d'avenir.En Angleterre, la BBC a fait de même, et plus encore, en décidant il y a quelques jours une hausse de 27% du budget de BBC Online au cours des trois prochaines années, alors que l'ensemble de l'organisation doit vivre une cure-minceur draconienne. ll faut éviter les virages trop brusques, puisque la télévision reste encore de loin le média le plus fréquenté, mais les tendances lourdes ne privilégient pas les grands médias généralistes qui offrent de tout pour tous.

P.S. Je vous invite à consulter le blog PressThink du professeur Jay Rosen, de la New York University. Il présente et commente les textes selon lui les plus marquants publiés aux États-Unis en mars et consacrés à la crise des médias . Deux collègues m'ont signalé cet important travail.Jay Rosen analyse depuis des années les changements en cours dans le journalisme.
http://journalism.nyu.edu/pubzone/weblogs/pressthink/2009/03/26/flying_seminar.html

lundi 23 mars 2009

Les réseaux informels

Je ne sais pas si c'est aussi votre cas, mais de plus en plus de collègues et amis, qui s'intéressent aux mêmes questions, m'envoient un nombre sans cesse croissant de liens et de références à des textes concernant les turbulences que connaît le monde des médias. J'avais été frappé il y a quelques années par le commentaire d'un des participants à une étude sur les jeunes et l'information qui disait: je n'ai pas besoin de consulter les médias, s'il se passe quelque chose d'important pour moi, quelqu'un va m'en informer. D'une certaine manière,je vis maintenant la même réalité. Des réseaux informels se créent sans qu'on les ait organisés, sans Facebook et sans Twitter.Et l'information vous arrive sans que l'ayez demandée.

Les quelques exemples qui suivent illustrent bien la pertinence de ce que j'ai reçu depuis quelques jours et que je n'aurais peut-être pas lu autrement.
-"When newspapers fold." Un article du Financial Times (16 mars) qui s'intéresse, entre autres, aux sources de financement qui pourraient remplacer les revenus publicitaires des quotidiens américains, en chute libre (les revenus publicitaires des journaux quotidiens ont chuté de 23% au cours des deux dernières années). L'auteur s'inquiète aussi des conséquences des difficultés financières de la presse sur la qualité du journalisme ( 20% des journalistes à l'emploi des quotidiens en 2001 ont perdu leur poste).
-"One Banker's Plan to Save the Newspaper Industry" ( Wall Street Journal.com, 19 mars).Une interview du directeur du "media program" de la Columbia Business School. Il explique que le problème des journaux est lié à l'endettement de la plupart d'entre eux, et à leur gestion. "It is that they have too much debt, not that they have stopped being profitable." Le même Jonathan Knee était aussi cité par le Financial Times.Dans les deux cas, il tient le même discours.Il critique la structure de coûts désuète des journaux et reproche aux journalistes de ne pas s'intéresser à ce que veulent leurs lecteurs.
-"Goodbye to the Age of Newspapers (Hello to a New Era of Corruption)". Un très long article du professeur Paul Starr, de l'Université Princeton, que publie le numéro de mars du magazine New Republic. Un excellent tour de la question et des conséquences du déclin et de la chute des journaux sur l'administration publique, ainsi laissée sans la surveillance de son principal chien de garde. "One danger of reduced news coverage is to the integrity of government." Starr craint aussi les conséquences de la crise sur la déontologie journalistique. "A financially compromised press is more likely to be ethically compromised."
-"Why It's OK for Newspapers to Die. "Un commentaire paru le 20 mars sur le site TechNewsWorld. L'auteure, Sonia Arrison, chercheure spécialisée en technologie au Pacific Press Institute,un think tank de San Francisco voué à la défense de la liberté individuelle, qualifie la crise qui secoue la presse de "creative destruction" (l'expression est tirée d 'un ouvrage de 1942 de Joseph Schumpeter, l'auteur du célèbre "Small is beautiful" ).À long terme, c'est une bonne chose pour l'économie, et pour le journalisme. "The Internet offers the potential for broader and deeper news reporting." Elle implore aussi ceux qui réclament l'aide de l'État pour sauver les journaux en difficultés de renoncer à leurs projets.
-"The Death and Life of Great American Newspapers".Un dossier du magazine The Nation, 20 mars. Le journaliste John Nichols et le professeur Robert McChesney, deux des critiques les plus sévères des médias commerciaux américains, proposent une intervention massive de l'État (un ensemble d'aides et autres politiques publiques) pour bâtir un nouveau modèle de presse aux États-Unis , "a free press "infrastructure project" that is necessary to maintain an informed citizenry, and democracy itself." Ils évoquent au passage le modèle français et les 600 millions d'euros que Nicolas Sarkozy propose de dépenser pour soutenir la presse au cours des trois prochaines années. Ils évaluent le coût de leur propre programme à 60 milliards $, sur trois ans.Cest en quelque sorte une réponse de la gauche au texte précédent -de madame Arrison! Et c'est aussi beaucoup d'argent.

Tous ces textes que l'on m'envoie (il m'arrive aussi d'en trouver moi-même quelques-uns!) sont intéressants.J'y apprends presque toujours quelque chose sur les médias étrangers, notamment américains. Mais rien sur le Canada.Il m'arrive de me demander si je ne suis pas intoxiqué et ne risque pas de confondre notre situation avec celle de nos voisins. Ces textes sont aussi redondants.Je relis souvent des données ou des explications que j'ai déjà lues.On cite souvent les mêmes personnes. Mais je peux difficilement ne pas les lire, de crainte de perdre une explication qui me permettra de mieux comprendre l'ensemble de la crise profonde qui transforme le monde du journalisme ici comme ailleurs. Curieux paradoxe enfin, l'immense majorité des articles que je consulte sur Internet proviennent de journaux ou de magazines-papier,qui sont les meilleurs analystes de leur propre infortune.

Mais pendant que je lis tous ces articles sur le journalisme et les médias ( sans payer, faut-il le préciser), je n'ai plus de temps pour m'intéresser au budget de madame Jérôme-Forget et aux réactions qu'il a suscitées. Le temps que l'on peut consacrer à s'informer est limité. J'ai souvent dit que chacun, enfermé dans sa spécialité et ses centres d'intérêt pointus, risquait ainsi de négliger les affaires de la Cité. Happé par la machine Internet, je deviens moi-même une illustration de ce que j'ai maintes fois déploré.

P.S.Ce blogue a été créé pour accompagner la production du film "Derrière la toile, le quatrième pouvoir", que Jacques Godbout et moi avons maintenant terminé.Je ferai bientôt un court bilan de mon "expérience" de blogueur.

vendredi 27 février 2009

Qui va payer?

Je savais bien que la culture de la gratuité était largement répandue chez les internautes. Mais je mesurais mal la vigueur avec laquelle ils en défendaient le principe et comment il sera difficile de faire payer pour de l'information sur la Toile. Et moi qui m'apprêtais à dire du bien des propos de l'entrepreneur américain Steve Brill (créateur de bien des choses,la plus connue étant sans doute la chaine de télévison Court TV) rapportés dans le dernier numéro de l'American Journalism Review. " I would say the press has to stop committing suicide by giving journalism away for free.Start charging for it, start believing in your product" (Can the Press Fix Itself, February/March 2009, p.2). Je maintiens qu'il n'a pas tout à fait tort, bien au contraire, au risque de m'attirer la colère et les foudres des adeptes francophones -il y en a sans doute- du Technology Liberation Front, dont je ne connaissais pas avant hier l'existence. Ignare que je suis...

Brill, mais plus encore le journaliste et ancien directeur de la rédaction du magazine Time, Walter Isaacson, sont cloués au pilori par les internautes - dont ceux du Front de libération - parce qu'ils osent affirmer que les médias doivent cesser de donner l'information qu'ils offrent sur le web. Le seul financement par la publicité est insuffisant et aurait,de toutes manières,des effets pervers (le journaliste doit être redevable à ses lecteurs et non aux annonceurs). C'est l'idée du micropaiement, proposée par Isaacson dans un article qui a fait la une de Time au début du mois, que les internautes ridiculisent. Ils lui reprochent de reprendre une vieille rengaine dont on a déjà démontré qu'elle était vouée à l'échec ("doomed"). Je résume des attaques qui sont sans quartier: le travail d'Isaacson est bâclé et seuls ses amis de la vieille école du journalisme, qui ne comprennent rien à l'internet, pouvaient publier pareilles âneries. "When you're a member of the club, your buddies will publish any old crap you write" (Voir à ce sujet les sites Techdirt, The Abstract Factory et The Technology Liberation Front).

Isaacson propose le "pay-per-drink model". Le système existe déjà pour la musique avec iTunes, où l'on achète les chansons à la carte. Une conversation avec mon ami Francis Masse, qui sait tout du micropaiement, m'a permis d'éclairer ma lanterne. Appliqué aux journaux en ligne, ce système pourrait permettre d'ouvrir un compte sur un site Web, d'y déposer des fonds qui serviraient à acquitter le paiement automatique de petites sommes, pour l'achat de manchettes (un service RSS), d'un ou de plusieurs articles, de sections d'un journal,etc., le prix variant selon le cas. Pareil système existe pour un certain type de livres où vous achetez des jetons que vous utilisez ensuite selon la nature de votre transaction. Vous pouvez voir la table des matières pour un jeton, mais aussi télécharger tout le livre pour 30 jetons, par exemple.

On ne peut comparer avec la musique, disent les détracteurs de la proposition d'Isaacson. L'information n'a pas la durée de vie d'une chanson. "Today's front page is tomorrow's fish wrap, and we don't need to replay it". Et, de toutes manières, les internautes arriveront toujours à éviter le paiement et trouveront ailleurs, gratuitement, l'information qu'ils souhaitent. "Internet users, awash in a sea of information, will avoid new barriers by navigating around them." Peut-être bien, sauf si l'information est d'une originalité ou d'une valeur telle qu'on ne trouve pas ailleurs l'équivalent et qu'on n' a d'autre choix que de payer. Comme c'est le cas pour le Wall Street Journal en ligne.

En fait nous en revenons au débat qui avait entouré la publication en 2007 du livre d'Andrew Keen, The Cult of the Amateur, qui avait aussi valu à l'auteur une volée de bois vert de la part des internautes. Keen parlait de la musique, du cinéma tout autant que du journalisme et écrivait que la dimension participative du web 2.0 et le contenu gratuit généré par les internautes menaçaient les médias et la culture. "Je n'ai pas honte d'admettre, écrit-il, que je me fie davantage aux reportages sur l'Irak des journalistes chevronnés et responsables du New York Times qu'à ceux de blogueurs anonymes...etc. (Le culte de l'amateur, avant-propos de la version française, Editions de l'homme, 2008).

Nous pouvons tous gloser en ligne et offrir généreusement nos savantes (!) réflexions à nos contemporains. Mais nous commentons à partir d'informations qui ont été collectées par des journalistes dont c'est le métier et qu'il faut bien que quelqu'un rémunère. Sans les informations qu'ils collectent, finie la diversité d'opinions. Cette quête d'informations nécessite des ressources financières importantes. Qui va payer? Il faudra bien en venir à engager le débat de fond à ce sujet. Le dialogue de sourds ne mène nulle part.

P.S. Le 28 février.
Benoît Michaud, l'astucieux recherchiste ès-Internet qui a collaboré à notre documentaire intitulé "Derrière la Toile, le quatrième pouvoir" (j'y reviendrai bientôt), a vite réagi à ce texte, en faisant deux commentaires fort pertinents.

Il m'explique d'abord qu'un système de ventes à la pièce, semblable à ce qui se fait pour les livres et la musique, existe déjà pour les journaux (www.pressdisplay.com). Vous pouvez accéder à plus de 600 journaux et magazines du monde entier, "tout en aidant à sauver nos forêts", écrit l'entreprise de Vancouver qui propose ce service. Le prix varie selon la nature du service retenu. La Grande bibliothèque permet à ses abonnés d'accéder gratuitement à ce service.

Enfin, la démonstration qui suit montre bien que ceux qui pensent que les internautes arriveront toujours à trouver gratuitement l'information qu'ils cherchent n'ont peut-être pas tout à fait tort.

Voici ce qu'écrit Benoît:

"Quand vous mentionnez que le Wall Street Journal sait mettre ses contenus à l’abri de la gratuité, il suffit qu’un blogue décide de faire du copier-coller pour que ça s’écroule.

Par exemple :

1- Voici un des articles les plus lus aujourd’hui sur le WSJ : http://online.wsj.com/article/SB123561551065378405.html

2- Demandez ensuite à Google de trouver un très court extrait du même texte, mot pour mot, en le plaçant entre guillemets : "Obama is selling the country on a 2% illusion".

3- Vous obtiendrez ceci qui démontre que le texte d’aujourd’hui est déjà présent sur de nombreux blogues sans frais :
http://www.google.ca/search?hl=fr&safe=off&q=%22Obama+is+selling+the+country+on+a+2%25+illusion%22&btnG=Rechercher&meta=

4- Et il ne cessera de se multiplier par la suite, de blogues en blogues !! "

vendredi 20 février 2009

Mutation souhaitée à la Presse canadienne

La Presse canadienne (Canadian Press) est une vieille dame très digne (disons plutôt un vieux monsieur, pour éviter qu'on m'accuse de sexisme) dont les habits d'une autre époque ne correspondent plus aux exigences vestimentaires du jour. Ses dirigeants souhaitent abandonner le statut de l'agence de presse (coopérative, sans but lucratif), qui date de 1923, et faire de l'entreprise une société commerciale. Le statut actuel,qui empêche de faire des bénéfices et de dégager des fonds pour l'investissement, handicape l'agence et lui permet difficilement de s'adapter comme elle le souhaiterait à l'ère numérique.Le changement de statut est aussi nécessaire pour faire face aux problèmes financiers que créent les difficultés de capitalisation des régimes de retraite de ses employés.

Pourquoi s'intéresser à la Presse canadienne? Parce que sans elle, la circulation des nouvelles, d'une région à l'autre du Canada, ne serait pas la même. L'agence fournit,en anglais et en français, aux quotidiens, aux stations de radio et de télévision et à plusieurs sites d'information ( Google, Yahoo, Cyberpresse, Canoë,etc.), souvent sans journalistes sur le terrain, des nouvelles des collines parlementaires ( l'agence a une vingtaine de journalistes en poste à Ottawa) et de tous les coins du pays. C'est aussi l' agence qui alimente les médias canadiens en nouvelles internationales grâce à une entente avec l'agence américaine Associated Press. C'est un service essentiel, dont l'avenir ne peut laisser indifférent.

Fondée par les journaux, la Canadian Press s'est construite sur le principe d'échanges de nouvelles entre les quotidiens membres de la coopérative, les sociétaires, qui assuraient aussi les coûts de fonctionnement (le gouvernement fédéral a contribué au démarrage). Dans les faits, au fil des ans, l'agence s'est transformée. Les journalistes de l'agence vont graduellement produire eux-mêmes de plus en plus de nouvelles, que l'on vendra aux divers médias, mais aussi, selon leurs besoins respectifs, à des institutions gouvernementales et à des entreprises. Les journalistes de l'agence on été parmi les premiers au Canada à pratiquer le journalisme multiplateforme et la vente de vidéos constitue maintenant pour l'agence une source de revenus en forte croissance. Les textes des quotidiens membres ne représentent plus qu'une infime partie du service.Le concept de coopérative, fondé sur l'échange entre les membres, n'a plus guère de sens.

Parallèlement le financement de l'agence s'est transformé. Il y a une dizaine d'années, 65% de ses revenus provenaient encore des quotidiens. Aujourd'hui,leur part n'est plus que de 35%. Le déclin annoncé des journaux et la croissance des nouveaux médias change davantage la donne.Les projections de l'agence pour les dix prochaines années s'appuient sur une part de revenus de plus en plus grande provenant des nouveaux médias. Sur son site, en anglais, l'agence se dit à l'avant-garde de la révolution numérique. "The Canadian Press is Canada's most trusted news source leading the digital age." Son président, Eric Morrison, n'aime pas la métaphore de la vénérable vieille dame. Il préfère voir l'agence comme un adulte dynamique qui a su s'adapter à toutes les technologies, de la radio à l'internet et autres "smartphones", et qui doit maintenant se donner les outils qui lui permettront de faire face aux changements profonds qui s'annoncent.

Une question se pose tout de même. Dans ses habits neufs d'entreprise commerciale, la Presse canadienne saura-t-elle conserver, à quelques années de son centenaire, les principes et les valeurs qui font d'elle une organisation que plusieurs considèrent comme un véritable service public. Le président Morrison assure que oui. Il parle d'une charte qui garantirait les valeurs rédactionnelles et l'indépendance de l'agence. Il évoque d'autres agences (la Press Association en Grande-Bretagne ou l'agence de presse australienne) dont les dirigeants ont aussi jugé nécessaire d'abandonner le statut de coopérative. Une chose semble claire: sans changement de statut, et en restant dans le giron de quotidiens eux-mêmes en difficultés, l'avenir de l'agence est sans doute bloqué.

mercredi 11 février 2009

Angoisses,espoirs et tâtonnements

Les prévisions catastrophiques s'amoncellent. Les éditions imprimées des journaux, déjà condamnées par plusieurs à une lente agonie, disparaîtraient plus vite que prévu. Le directeur de recherche d'un grand cabinet de consultants prévoit qu'un éditeur sur dix (journaux et magazines) devra soit abandonner l'édition-papier, soit en réduire la fréquence de publication, voire cesser ses activités en 2009. Un autre analyste, cité par le magazine The Atlantic dans son édition de janvier-février, croit que plusieurs villes américaines pourraient bien se retrouver sans quotidien dès 2010. Le magazine laisse même entendre que le vénérable New York Times imprimé pourrait bien ne pas passer l'année ( Michael Hirschorn, End Times,The Atlantic, p.41).

Certains rejettent ces mauvais augures et font toujours confiance au papier. Au point de penser que l'internet,qui signe pour les uns l'arrêt de mort des journaux, pourrait au contraire contribuer à les relancer.Joshua Karp a conçu un journal dont le contenu s'appuie sur des blogs, l'un des emblèmes de la Toile et de son interactivité. The Printed Blog, c'est le titre de nouveaux journaux lancés il y a quelque jours à Chicago et à San Francisco (d'abord hebdos,bientôt quotidiens) par cet entrepreneur qui aime l'expérience physique que représente le papier, la sensation tactile, les doigts salis par l'encre.

Ces journaux gratuits poussent à l'extrême l'idée de proximité. (Voir un article du New York Times du 22 janvier. "Publisher Rethinks theDaily:It's Free and Printed and Has Blogs All Over" ). Dans chaque ville, des dizaines d'éditions différentes, selon les quartiers, seront distribuées à un nombre restreint de lecteurs (1,000 exemplaires par édition). Le journal sera financé par la publicité, vendue à très bas prix ( de15$ à 25$ selon l'espace) à des commerçants du quartier qui ne peuvent payer les tarifs des grands quotidiens métropolitains. Le fondateur prévoit que chaque édition de quartier, une le matin et une en fin d'après-midi, pourrait lui rapporter entre 750$ et 1500$ par semaine. Il partagera ces profits avec les blogueurs participants.Est-ce viable?

J'ai cru un instant que cette idée étonnante, sinon saugrenue, d'un blog sur papier était tout à fait nouvelle. En fait, il n'en est rien.Des blogueurs font des livres de leurs "posts" et des commentaires qu'ils reçoivent, comme des journalistes le font avec leurs chroniques ou reportages. En France, l'hebdomadaire-papier Vendredi (que je n'ai pas encore vu) propose depuis octobre dernier une sélection imprimée de textes puisés sur la Toile "qui s'impose, disent ses artisans, comme une véritable source foisonnante d'informations et de débats d'idées." Le fondateur de cet hebdo, Jacques Rosselin, a crée le Courrier international, où l'on regroupe avec succès des textes de la presse du monde entier. Le principe est le même. Et sur la Toile, les possibilités de choix sont décuplées. Mais est-ce viable?

Aux États-Unis, la mort annoncée du NYTimes a suscité des réactions vives de l'entreprise qui a accusé le magazine The Atlantic de spéculations non fondées. Pourquoi interrompre la publication d'un journal toujours rentable, malgré un tirage qui décline et des revenus publicitaires qui chutent. La publication sur Internet seulement serait désastreuse pour la qualité du journal. La publicité sur Internet rapporte encore peu. La version web du Times bien que lue par 20 fois plus de lecteurs que la version papier ne permettrait de financer que 20% de l'effectif rédactionnel actuel. L'un des patrons de la rédaction expliquait récemment (Bloomberg, 3 févier) que le journal étudiait la possibilité de revenir sur la décision qu'il avait prise il y a moins de deux ans d'abandonner le paiement par les usagers du web (pensant alors augmenter le nombre de lecteurs et ainsi accroître ses revenus publicitaites).

C'est l'économie, "stupid"! Chacun cherche le modèle d'affaires le mieux adapté au grand chambardement et personne ne sait ce qui résultera de toutes ces expériences et de tous ces tâtonnements.

mercredi 28 janvier 2009

Médias en crise et culture politique

La "crise"de la presse écrite,variable d'un pays à l'autre, réelle ou appréhendée, et que l'actualité des derniers jours a mise en lumière, illustre très bien la différence de culture politique dans laquelle baignent les médias (les journaux en particulier) en Europe et en Amérique du Nord.

Ici ou aux USA, je n'ai encore vu personne réclamer, comme on le fait dans d'autres secteurs, l'intervention de l'État pour assurer l'avenir de la presse écrite, dont tous reconnaissent pourtant le rôle irremplaçable dans l'information des citoyens.En France, le président Sarkozy a annoncé vendredi dernier, en réaction au rapport des États généraux de la presse (voir mon texte du 22 janvier), un ensemble de mesures comportant, pour la presse-papier mais aussi pour le développement de la presse en ligne, des aides de 600 millions d'euros.

On ne peut mesurer l'importance des mesures annoncées par le président sans les situer dans leur contexte culturel, soit celui d'un pays où les relations presse-politique sont complexes, certains diront incestueuses, et où l'État a mis en place au fil des ans un vaste système d'aide à la presse.J'ai demandé à mon collègue et ami Emmanuel Derieux, professeur à l'Université Paris-2 (Institut français de presse) et spécialiste du droit des médias, de répondre à quelques questions à ce sujet. Il a été l'un des participants aux États généraux, bien qu'il lui ait semblé que les milieux professionnels, plutôt que le président, auraient dû prendre l'initiative de les organiser.

Question: 600 millions d'euros pour soutenir la presse.Cela semble important vu d'ici. Comment faut-il comprendre cette annonce dans le contexte français et compte tenu de votre système d'aide déjà très élaboré?
"Si les informations données sont exactes et si les promesses sont tenues ou si, entre temps, de nouvelles aides supplémentaires ne sont pas accordées, ce sont 600 millions d'euros d'aides "exceptionnelles" (mais qui généralement ne sont pas remises en cause par la suite !) étalés sur 3 ans. Le volume annuel des aides est d'à peu près 1 milliard d'euros, soit 10 % du chiffre d'affaires de la presse.(...) On pourrait dire que, en période de "crise" justement, l'Etat éprouve le besoin d'aider de nombreux secteurs (banques, industrie automobile...). La presse a assurément, sur les politiques, un pouvoir d'influence non négligeable, même si l'on couvre cela de nobles références à la nécessaire garantie du pluralisme de l'information indispensable en démocratie..."
Question:De quel type d'aide s'agit-il? Tous les quotidiens en bénéficient-ils? Ne craint-on pas que ce système rende la presse moins critique?
"Les aides sont multiples : économiques (réductions de tarifs postaux, de transport... subventions à diverses catégories de publications, à la modernisation, au portage... achats d'espaces publicitaires par diverses institutions publiques...) et fiscales (exonérations, réductions d'impôts, taux de TVA réduit-l'équivalent de la TPS ...).Elles ne profitent pas à la seule presse quotidienne d'information politique et générale mais, de façon assurément insuffisamment sélective par rapport à l'objectif officiel de garantie du pluralisme et du maintien du débat d'idées nécessaire à la démocratie, à un très grand nombre de publications, toutes périodicités et catégories confondues, auxquelles il n'est pas toujours justifié d'accorder les aides de l'État... Une presse assistée n'est pas incitée à se réformer. Elle viendra, un an ou deux après, quémander une nouvelle forme d'aide... que les politiques, craignant l'influence de la presse sur l'opinion, lui accorderont.A ce jeu tout à fait malsain, les politiques dépendent de la presse autant que celle-ci dépend d'eux.Le discours de Nicolas Sarkozy montre encore que les politiques n'ont pas le courage (ou l'imprudence) de reconsidérer l'ensemble du système qui aurait pourtant besoin d'une réforme structurelle, mais, d'année en année, ajoutent de nouveaux éléments, que l'on maintient alors sans jamais plus les remettre en cause."
Question: La reconnaissance du statut d'éditeur en ligne aidera-t-elle les sites d'information créés par des journalistes, comme MediaPart ou Rue89 par exemple?
"La reconnaissance du statut d'éditeur en ligne est destinée à leur permettre notamment, dès lors qu'ils font de l'information journalistique (ce qui resterait à définir : l'information journalistique est celle qui est faite par les journalistes mais les journalistes sont ceux qui font de l'information journalistique !), de leur permettre de bénéficier (de certaines) des aides de l'Etat."

Je me permets, en conclusion, ce scénario hypothétique et intéressé.Que se passerait-il si quelques journalistes (ou professeurs de journalisme!) à la retraite décidaient de lancer un site d'information, sans y consacrer cependant tout leur temps et sans rémunération importante (des traits qui servent à définir les journalistes)? Ils feraient ainsi de l'information journalistique.Pourraient- ils jouir du statut d'éditeur en ligne et bénéficier d'exonérations fiscales et autres largesses de l'État?Si oui, je songe à déménager en France.

jeudi 22 janvier 2009

"Pour gagner la bataille de l'écrit" (en France)

"Sur le Titanic, l'orchestre continuait à jouer. Devant l'iceberg numérique, les rotatives continuent à tourner..." La métaphore illustre bien l'ampleur de la crise de la presse en France, comme la perçoit Bernard Spitz, le responsable de la coordination des Etats généraux de la presse écrite, ce grand "brainstorming de la profession" (l'expression est d'un journaliste de Libération) mis en place par le président Nicolas Sarkozy. Le président français, présent dans tous les dossiers importants (certains se demandent ironiquement s'il a besoin de ministres), n'allait pas manquer de s'intéresser aux malheurs des journaux. "La démocratie ne peut fonctionner avec une presse qui serait en permanence au bord du précipice économique," a-t-il dit.

Le président avait donné peu de temps à ceux qu'il avait choisis pour mener à bien cette entreprise. Ils ont répondu à l'appel. En 10 semaines de travail, les 150 participants à l'opération ont accouché, le 8 janvier, d'un livre vert de 68 pages,intitulé "Pour gagner la bataille de l'écrit," et d'une centaine de recommandations visant tout autant à renouveler certaines structures archaïques qui nuisent aux journaux-papier qu'à permettre le développement de la presse en ligne. Le président Sarkozy doit annoncer demain, vendredi 23 janvier, ce qu'il compte faire de ces propositions.

À ma connaissance, nos médias n'ont pas parlé de ce rapport.Il est vrai que l'organisation de la presse en France avec ses contraintes "historiques" de fabrication, d'impression et de distribution, et un systéme d'aides élaboré et complexe, est à mille lieux de notre presse écrite dont les patrons surtout, mais aussi bien des journalistes, ont toujours voulu tenir l'État à distance. Certaines propositions du rapport, qui visent à simplifier les procédures d'autorisation et d'implantation des kiosques et à faciliter le portage des journaux à domicile, semblent appartenir à un autre âge et sont sans intérêt pour nous. Qu'est-ce que l'État vient faire dans la livraison des journaux à domicile? C'est ce que M.Spitz appelle le "handicap français", un mal propre à l'Hexagone.

En revanche, la crise actuelle, conjoncturelle, que vivent les journaux français s'apparente, à quelques particularismes français près, à celle que connaissent les quotidiens nord-américains et l'analyse qu'en fait le rapport est intéressante. Ainsi,le président d'un des quatre pôles ou groupes de travail des États généraux, Bruno Pattino, ancien directeur du Monde.fr et co-auteur du livre "Une presse sans Gutenberg",propose en quatorze brefs constats un état des lieux du secteur de la presse écrite: hausse de l'offre de médias, dispersion ou fragmentation des audiences, baisse de diffusion de la presse payante et diminution de ses revenus publicitaires, croissance d'internet, rupture générationnelle, etc. Rien de bien nouveau, me direz-vous.Peut-être, mais la synthèse est pour le moins réussie et la situation comparable. À venir:le smartphone (Iphone et les autres) qui possède, selon Pattino (un euphorique?), un potentiel de bouleversement complet de la consommation des médias. Nous verrons.

J'ai bien aimé une chose dans ce rapport,soit la modestie que manifeste le coordonnateur Bernard Spitz en conclusion. Il écrit:"Nul ne peut aujourd'hui prédire les futures combinaisons gagnantes qui s'instaureront entre les modes de consommation de la presse, entre le papier et le numérique , entre le fixe et le nomade...entre le gratuit et le payant," etc. Dans ce dossier, les réponses toutes faites n'existent pas. J'aime bien les gens qui ont davantage de questions que de réponses. Les États généraux ont tout de même formulé plusieurs propositions concrètes dont des mesures d'urgence pour éviter le naufrage appréhendé des rotatives.On verra ce qu'en fera le président Sarkozy qui,lui, n'a pas coutume d'être avare de solutions.