mardi 28 octobre 2008

Les principes du journalisme dans un monde incertain

Quelques principes essentiels, au premier chef la vérification des informations et l'indépendance,fondent le journalisme et le soi-disant quatrième pouvoir.Le respect de ces règles est indissociable de la crédibilité et de la confiance qui assurent le maintien d'une entreprise de presse.C'est parce que ces principes ont été trop souvent bafoués aux Etats-Unis ces dernières années que le public américain a perdu confiance en ses médias.C'est là une des causes évidentes de leur déclin.

Comment s'assurer de la permanence de ces principes dans un univers de communication devenu flou et incertain.Flou à cause de la frontière souvent imprécise entre le journalisme et la communication institutionnelle.Incertain parce que la poussée des nouveaux médias y compris la montée des canaux spécialisés de télévision),la fragmentation des auditoires et de la publicité, malmènent les médias traditionnels.Un scénario plausible permet d'envisager pour bientôt un monde de médias à deux vitesses.Les uns gratuits,la majorité,au contenu bref,factuel et répétitif,les autres,peu nombreux, payants, offrant un contenu plus approfondi, mais voyant malgré tout leurs ressources diminuer à cause de la multiplication des premiers et de la fragmentation des revenus.

Le scénario du pire pourrait s'imaginer ainsi.Dans un cas,un univers de jeunes journalistes,au statut précaire,pratiquant un journalisme sédentaire et ressassant sans cesse les mêmes dépêches d'agences. Nous n'en sommes d'ailleurs pas si loin. Sans l'agence Presse canadienne,le menu des quotidiens gratuits et de la majorité des sites Internet serait,n'est-ce pas, plutôt mince.D'un autre côté, quelques médias payants, un monde de journalistes vieillissants,mieux traités, sans doute restés fidèles aux préceptes du journalisme,mais inquiets de leur avenir devenu incertain.

Un article mis en ligne la semaine dernière sur le site Bakchich.info (et qu'un jeune journaliste m'a signalé) dresse un portrait plutôt pénible du journalisme web et des nouveaux "ouvriers spécialisés "de la presse,et montre, qu'en France tout au moins,le scénario du pire devient pour partie réalité.Les journalistes web, jeunes,"scotchés à leurs sièges", réécrivent,titrent,cherchent l'illustration, hiérarchisent."Ici on ne cherche pas l'info",on "bâtonne de la dépêche".Des chercheurs français,cités par Bakchich, font le constat suivant au sujet de ce travail de "retraitement industrialisé" de l'information:"Ceci pose question quant à la marge de manoeuvre des créateurs qui, sans être annihilée,pourrait voir se réduire les possibilités d'innovation et donc de diversité de contenus."

Cela nous ramène aux grands principes qui fondent le journalisme. Comment parler d'indépendance quand le journaliste,au statut plutôt précaire,devient corvéable à merci? Le journaliste, en principe au service de la collectivité -sa "première loyauté,dit-on,reste dans les faits à l'emploi d'une entreprise de presse donnée.Le défi est de convaincre l'entreprise que son avenir repose sur la crédibilité et la confiance,qui ne peuvent être séparées du respect des principes de base du journalisme.L'entreprise de presse doit aussi s'assurer que le public puisse constater que ces principes sont observés et que le journaliste travaille effectivement pour la collectivité. La transparence dans la collecte et le traitement de l'information s'ajoute ainsi à la liste des principes qui fondent le journalisme.

jeudi 23 octobre 2008

L'indépendance du journaliste

Si vous ne l'avez pas fait,je vous invite à lire l'intéressant commentaire que le journaliste Pascal Lapointe nous a laissé le 20 octobre. Le quatrième pouvoir s'est dilué- il est tout autour de nous, écrit-il,tout comme s'est érodée la définition traditionnelle du journaliste. Il pose une question qui n'est pas nouvelle, celle de la frontière entre le journalisme et la communication institutionnelle, et à laquelle la réponse n'est pas aussi simple que nous journalistes voulons souvent le penser.

Je n'ai pas de mal à croire que lorsqu'il était rédacteur ou "journaliste", au Fil des événements, l'hebdomadaire institutionnel de l'Université Laval, ses articles scientifiques pouvaient sans doute être plus fouillés que ceux des journalistes "officiels" du Soleil.Pascal Lapointe est un journaliste scientifique de grande qualité.Je veux bien croire aussi que certains "journalistes" scientifiques à l'emploi d'universités américaines questionnent davantage "leurs" scientifiques que le font les journalistes des médias classiques.

C'est aussi vrai que certains "communicateurs-journalistes" collectent et vérifient l'information, selon ma définition du journaliste. Mais il leur manque souvent un autre des traits essentiels qui définissent le journalisme. L'indépendance, à l'égard des sources et des autres pouvoirs, y compris à mon avis de leur propre entreprise de presse. Les journalistes doivent pouvoir exercer leur métier "selon leur conscience", comme l'expliquent les auteurs du livre The Elements of Journalism, Bill Kovach et Tom Rosenstiel. Je ne suis pas convaincu que de nombreux communicateurs institutionnels jouissent de la marge de manoeuvre espérée. Je ne suis pas certain par exemple que les communicateurs à l'emploi des universités québécoises, nonobstant la grande liberté qui doit distinguer ces lieux de haut savoir, pourraient aller bien loin dans la critique de leur propre institution.

Cela dit, il faut être vigilant sans être dogmatique. Nous étions peut-être un peu rigides dans les années 1970! La Fédération professionnelle des journalistes a manifesté une ouverture intéressante il y a quelques années en acceptant de reconnaître comme journalistes des employés d'institutions autres que les médias traditionnels pour autant que soit affirmée l'indépendance rédactionnelle de la publication à laquelle ils collaborent. La Terre de chez nous de l'Union des producteurs agricoles avait passé le test. Le Journal du Barreau avait échoué. Constatons que les élus sont encore peu nombreux. Et poursuivons la conversation.

jeudi 16 octobre 2008

Vérification et crédibilité

Un incident récent,dont la chaîne CNN a fait les frais,illustre bien la fragilité des structures d'encadrement du journalisme citoyen. L'affaire, dont les médias québécois n'ont à ma connaissance pas parlé,remonte au vendredi 3 octobre.Un "reporter-citoyen" annonce sur iReport.com de CNN,où chacun est invité à faire part des événements dont il est témoin et à transmettre photos et vidéos, que le chef de direction de Apple,Steve Jobs,a été hospîtalisé d'urgence,victime d'une crise cardiaque. La nouvelle est fausse mais plausible puisque la santé de M.Job fait depuis un moment l'objet de nombreuses spéculations.

Personne ne vérifie l'information.Le site-citoyen est "unedited" et "unfiltered".CNN y proclame,un brin racoleur:"You take control of the news." D'autres médias reprennent la "nouvelle" qui n'en est pas une.Le titre d'Apple baisse.Il se redressera dès que la fausse information sera démentie,mais le mal est fait.Qui a profité de cette fausse nouvelle? La règle qui mène trop de sites-citoyens, et selon laquelle le système s'auto-régule et les erreurs sont vite corrigées par la communauté,doit être revue.CNN a beau se défendre en disant qu'elle met les internautes en garde ("Take note:..the stories submitted by users are not edited,fact-checked or screened before the post."),cela ne suffit pas. Lessites qui diffusent des contenus relatant des faits (les opinions,c'est une autre histoire)et provenant de citoyens doivent s'assurer de leur véracité.Et s'assurer qu'ils ne sont pas l'objet de manipulation. Des mécanismes de vérification doivent être créés.Sinon c'est l'ensemble du journalisme citoyen qui perdra toute crédibilité.

Les médias traditionnels devraient se garder de donner des leçons à ce sujet.Leur système de vérification a aussi montré des failles criantes ces dernières années.Aux USA les médias les plus sérieux,comme le New York Times, n'ont pas échappé aux dérapages. C'est parce qu'ils ont transmis trop de déclarations "officielles" sans les vérifier (à partir des armes de destruction massive)que les médias ont perdu beaucoup de leur crédibilité.

Il ne suffit plus pour la presse de "rapporter fidèlement les propos des personnalités rencontrées".Ce vieux concept d'objectivité est dépassé.La vérification de la véracité des propos et des déclarations est aussi essentielle. Autrement,si la presse se limite à un rôle de perroquet,peut-on parler d'un quatrième pouvoir autonome et indépendant?

mardi 7 octobre 2008

Une comparaison intéressante

Un collègue,Francis Masse,qui a collaboré à la mise en place de ce blogue et qui m'est d'un précieux secours pour solutionner les pépins techniques (je ne suis pas doué) a préparé le texte qui suit. Il compare les craintes que l'ordinateur suscitait chez les graphistes il y a quelques années à celles de certains journalistes aujourd'hui.C'est un réflexion stimulante que je vous invite à commenter si le coeur vous en dit.
F.S.
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En lisant les interventions sur votre blog, M. Sauvaugeau, je me surprends à trouver d'étrange similitudes entre les préoccupations qu'on y expose, et celles qui animaient la profession de graphisme il y a 20 ans. Je suis un infographiste de la première heure. Aujourd'hui défroqué, mais avec la prétention d'avoir vécu ces changements en étant au premières loges, sinon carrément sur la scène.

Rappelons-nous que l'arrivée des logiciels puissants de dessin et de mise en page et de l'imprimante laser, ont carrément révolutionné en moins d'une dizaine d'années, les pratiques de l'industrie des arts graphiques. Les intellectuels pourraient y voir qu'une évolutions du procédé de production de biens matériels. Il en était pourtant tout autrement. Les conséquences allaient être sociales, intellectuelles, humaines.

Mon lien avec le journalisme? C'était l'époque où il fallait travailler pour un grand media, pour avoir droit de parole sur la place publique. Du jour au lendemain, tous pouvaient produire, pouvaient publier. Aujourd'hui tous peuvent écrire la nouvelle ou la chronique sur son blog. Tous peuvent devenir journaliste.

La typographie fut à mon sens, le secteur le plus métamorphosé par ces technologies. Et les typographes d'hier ont vécu des dilemmes et des déchirements étrangement semblables à ce que vivent les journalistes d'aujourd'hui. Au moins 3 éléments me sautent à l'esprit:

1- l'éclatement perçu de la confrérie.
L'appel au métier et à la noblesse et l'exclusivité de l'acte professionnel fut certainement la première réaction. « Ces gens bricolent avec ce qu'ils pensent être de la typographie, mais ce n'est pas leur métier et leurs outils sont peu performant ». "Ces « gentils » ne maitrisent pas le savoir-faire typographique multi-centenaire". Au lieu d'investir ces nouveaux lieux de production et de créativité, ces « experts » ont tenté de se drapper dans une étoffe noble et hautaine de la confrérie professionnelle. Lentement (si tant est que 10 ans puisse être lent dans une profession!) ils ont été mis à l'écart de l'industrie et paradoxalement, de la profession. Ils n'ont su exploiter les horizons nouveaux que le changements technologiques ouvraient à leur métier.

2- la baisse de la qualité dû au « travail d'amateurs »
C'était évidemment l'univers du pire avant de devenir l'univers du meillleur. Les «informaticiens » et autres pitonneux, prenaient contrôle du graphisme. On s'est mis soudainement à produire énormément plus de typographie, pour toutes sortes d'usages pour lesquels, dans le passé, on se contentait de la dactylo ou du manuscrit. Ceci dit, affirmer que la qualité de la production graphique à cette époque s'est dégradée, serait comme d'affirmer que la population québécoises maitrisait beaucoup mieux l'orthographe en 1900. Ceux qui s'avaient lire avait peut-être un français écrit plus rigoureux (ce qui reste à prouver) mais dans l'ensemble on n'a pas un meilleur orthographe quand on écrit pas. La qualité de l'information journalistique ne diminuera pas avec la facilité de publier nouvelles et opinon. Même si ce sont des «gentils» qui en produisent une partie.

Le paradoxe dans ce domaine, c'est que je suis profodémment convaincu que les nouveaux outils ont grandement contribué à la compétence des professionnels. Les jeunes en particulier. Pour apprendre le vocabulaire de la typographie à l'époque du plomb, il fallait des années de travail d'apprenti. Avec l'arrivée des logiciels de mise en page, nous avions accès aux un véritable système-expert, qui nous présentaient, condensé dans un écran cathodique, le savoir faire répertorié et expliqué comme jamais cela n'avait été possible auparavant. Aucun manuel de typographie ne saurait rivaliser avec Quark Express pour expliquer les différentes sortes d'habillage, l'aligmenent, d'espacement etc. Ce vocabulaire de la mise en page s'impose tout seul à celui qui travaille avec cet outil, alors qu'il ne sera que partiellement appris par les quelques uns qui oseront lire le manuel du maître typographe. Si vous n'êtes pas convaincu, allez relire les écrits des typographies suisse et français des années '70 et vous verrez combien les notions y sont rudimentaires, les démontrations simplistes à nos yeux d'infographistes d'aujourd'hui. Et en plus, Quark comporte en lui-même, l'exercice pratique et l'atelier d'expérimentation.

3- Tous seront immensément célèbres pendant 15 minutes... par un médias dont "les vieux" n'auront jamais connaissance!
Avec les nouvelles technologies des années 1988 et plus, on allait pouvoir produire notre livre, nous même. Ça y était: les typographes, graphistes, imprimeurs, allaient tous disparaître!. En fait ce fut vrai: le budget consacré à l'imprimerie commerciale n'a cessé de croître entre 1998 et 2005 (environ de 7% par année - désolé, je n'ai pas accès à ma source maintenant!), mais alors que le budget de communication tout médias confodu lui augmentait de 20%. C'est qu'on faisait d'autre chose que d'imprimer du papier pour communiquer. Les métiers ont suivi à l'avenant. Aujourd'hui, être graphiste, c'est publier pour le web. Une largeur de colonne de 50 picas, aujourd'hui, c'est un tableau html de 600 pixels. Avec tout les changements que cela sous-entends dans la forme, le contenu, le type de diffusion, la qualité de la pénétration des marchés cibles, et le rendu que cela devait nécessairement apporter. La vieille garde était tellement décontenancée, qu'elle ne s'est même pas rendu compte de ces changements. Le typographe de la vieille école n'allait jamais sur internet.

Penser que le travail des journaliste professionnels est menacé par les nouvelles technologies, c'est faire abstraction de l'évolution du marketing et de notre société des services depuis les années 1930. Sauf exception, ce n'est pas la production de bien qui garantit le succès (commercial?) d'une opération c'est l'ensemble du procédé de marketing qui le supporte. Il en ira de même dans les prochaines années, pour la production de nouvelles. Le succès d'un blog, tient plus dans la "publicité croisée", dans la capacité de l'auteur et de la machine-médias qui le supporte à inscrire ce blog dans les préoccupations sociales. Ainsi, le "consultez notre site web" qu'on entends dans les médias électronique (oups! disons radio et télévision!), sont des ingrédients importants du succès d'un blog. Avoir doit de cité ne sera plus l'unique privilège des journalistes professionnels. Cependant, avoir la crédibilité suffisante pour mériter d'être lu, d'avoir une influence sociale, d'avoir accès aux sources de la nouvelle pour en devenir le diffuseur, ne sera pas accessible à d'autres. La rigueur, la constance, le travail, la qualité, demeureront des ingrédients principaux qui continueront de donner du sens au mot «professionnel» dans «journalisme professionnel».

À mon sens, les nouvelles technologie on propulsé vers le haut les métiers de graphistes, typographes, metteurs en pages et même d'illustrateurs. Ce n'est vrai que pour ceux qui ont embarqué avec enthousiasme dans ce train qui n'attendait pas la réflexion murie avant d'amorcer son voyage. Ceux qui sont resté sur le quai n'ont pas vu ces changements. Normal: ils s'étaient sortis du métier.

vendredi 3 octobre 2008

Le quatrième pouvoir... et les autres

Qu'est-ce que le quatrième pouvoir? Je devais revenir à la question. Je m'exécute.

L'expression aurait été utilisée pour la première fois pour désigner la presse par l'écrivain et homme politique britannique Edmund Burke, à la fin du dix-huitième siècle. Il aurait pointé du doigt vers la tribune réservée aux journalistes au Parlement en s'écriant: "You're the Fourth Estate. "

Dans le monde francophone, l'idée évoque plutôt la division des pouvoirs développée par Montesquieu dans son ouvrage L'Esprit des lois publié quelques décennies plus tôt. La séparation et l'équilibre des trois pouvoirs, le législatif, l'exécutif et le judiciaire sont essentiels à la vie démocratique.

Montesquieu n'a pas parlé de la presse, mais dans nos démocraties libérales, nous postulons que la nécessité de son indépendance est aussi importante que celle des tribunaux par exemple. C'est dans ce contexte de "checks and balances" que la presse a évolué et est devenue le chien de garde de la démocratie.

La notion de quatrième pouvoir est aujourd'hui un peu floue. Le "Fourth Estate" de Burke faisait partie du pouvoir au sens large, du système. Des journalistes se considèrent maintenant plutôt comme un contre-pouvoir. Avec la montée en puissance de l'audio-visuel, de la télévision en particulier, certains ont parlé d'un cinquième pouvoir. La CBC présente depuis des années son magazine de journalisme d'enquête The Fifth Estate. Au Québec, des relationnistes ont aussi dit, il y a une vingtaine d'années, que le quatrième pouvoir n'était pas celui des journalistes mais celui de l'information et que ce territoire leur appartenait tout autant qu'aux journalistes. Pour d'autres enfin, l'internet devient aujourd'hui le cinquième pouvoir? À moins que ce ne soit le sixième!

D'où la question: où est passé le quatrième pouvoir, celui des journalistes.