lundi 15 décembre 2008

La crise des journaux

Aux États-Unis, les quotidiens viennent de connaître une semaine de misère. C'est la décision du groupe Tribune (qui publie des titres importants dont le Chicago Tribune, le Los Angeles Times ou le Baltimore Sun) de chercher la protection de la loi de faillite qui a retenu l'attention, mais il y a plus. Toute l'industrie est frappée. Des groupes de presse qui ont payé beaucoup trop cher certains journaux achetés en 2006 et 2007 se retrouvent aujourd'hui endettés, avec des actifs dont la valeur boursière s'est effondrée. La récession et la diminution importante des revenus publicitaires qui l'accompagne transforment en chute brutale le lent déclin des quotidiens amorcé depuis des années et accentué par la tendance à la spécialisation des contenus et la montée d'internet. Les médias généralistes, qui offrent de tout pour tous, n'ont plus la cote.

La lecture du compte rendu (voir le New York Times de mardi 9 décembre:"Advertising. Next Year Is Looking Even Worse) d'une conférence sur les tendances en publicité, tenue à New York en début de semaine, a sans doute ajouté aux sueurs froides des patrons de presse. Les analystes prévoient une annnée 2009 horrible, la pire de l'histoire de l'industrie, selon l'un d'entre eux. Le journaliste du Times n'a pu s'empêcher d'évoquer la grande dépression et le cauchemar des années 1930. Tous les médias souffriront de la récession, mais les analystes sont unanimes à prévoir que les journaux seront les plus touchés. Des journalistes sont mis à pied, des postes de correspondants retranchés, des journaux annulent leur abonnement à l'agence Associated Press, qui annonce à son tour des coupures, bref c'est l'ensemble du système d'information qui écope.

Nous n'échapperons pas au vent qui vient du sud. La structure financière de nos journaux est semblable à celle des quotidiens américains. Plus ou moins 80% des revenus proviennent de la publicité. Si elle chute de façon importante au cours des mois qui viennent, ce qui semble prévisible, quelles seront les conséquences pour l'information, et partant pour la vie démocratique? La tentation sera grande, comme on le fait aux États-Unis, de réduire l'effectif journalistique ou de laisser tomber des pans de la couverture. On a déjà annoncé des coupures de postes importantes au Canada anglais, chez CanWest Global et à CTV. Qui assurera la collecte des nouvelles, si les médias généralistes, les quotidiens payants en particulier qui en sont les principaux pourvoyeurs, renoncent à le faire de façon adéquate? Certainement pas les sites Internet. Ils n'en ont pas les moyens.Ainsi, les menus de nouvelles de Canoë ou de Cyberpresse seraient plutôt minces, s'ils ne s'appuyaient sur les médias traditionnels auxquels ils sont associés.

L'un des participants à la conférence de New York a fort heureusement remis quelques pendules à l'heure. Les journaux américains ne sont pas tous dans la dèche. Ils devront cependant vivre un "choc culturel", oublier les taux de rentabilité gigantesques du passé, qui pouvaient atteindre 30%, et s'habituer, "forever", à des profits de l'ordre de 10%. Ce qui n'est tout de même pas l'Apocalypse et ne pourrait justifier des hémorragies démesurées. La situation financière des quotidiens québécois reste un secret bien gardé. Statistiques Canada fournit des données pour l'ensemble de la presse écrite, quotidiens et hebdomadaires confondus (bénéfices avant impôts de 13,5% en 2006). Chez Quebecor, le rapport annuel contient aussi de l'information pour l'ensemble des journaux (quotidiens payants, gratuits et hebdos confondus). Chez Gesca, la divulgation des données sur la situation financière des quotidiens fait l'objet d'un litige que les tribunaux devront trancher. Les journaux ne sont poutant pas des entreprises comme les autres. Ils exercent une mission de service public, un "public trust", comme on dit en anglais.Cela n'impose-t-il pas une certaine transparence?

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Les années de vaches grasses sont en effet terminées pour les medias sur papier. Le grand coupable ? d'après moi, ce serait l'internet....
Depuis que j'ai l'Internet à haute vitesse, je n'ai pas acheté un seul journal ou revue en papier...où il y a trop d'annonces, justement.
Pourquoi m'abonner à l'Actualité quand je peux, sur l'Internet, retrouver la majorité des reportages et tous les blogues de cette intéressante revue ...
Les medias auraient dû voir venir... Souvent, les grands patrons, âgés de 50 ans et plus, ne croient pas à ces «nouvelles bébelles» comme ils les appellent. Voilà ! aujourd'hui la ¨bébelle» leur coupe l'herbe sous le pied...

Garamond

Anonyme a dit…

« Nous n’échapperons pas au vent qui vient du sud ». Nous n’y échapperons pas, mais je serais tenté de dire qu’il y a longtemps que nous n’y échappons pas. Ce qui se passe au Los Angeles Times et dans les « grands médias », n’est que la pointe de l’iceberg.

Les réactions publiées sur Internet plus tôt ce mois-ci à la suite du congrès de la FPJQ sont à cet égard instructives. Des blogueurs et des pigistes reprochent à la Fédération, avec sa résolution visant à définir ce qu’est un vrai journaliste, d’avoir investi beaucoup d’énergie pour quelque chose qui ne s’attaque en rien à ce vent mauvais.

Les pigistes, tout comme vous M Sauvageau, ne sont sont pas surpris de ce qui arrive au Los Angeles Times. Ils tentent de prévenir la profession depuis 30 ans que ça va arriver tôt ou tard. Malheureusement, les réactions à leurs doléances sur la dégradation des conditions de travail se sont généralement limitées à ceci : c’est bien malheureux ce qui arrive aux pigistes, mais Dieu merci, c’est une réalité sans lien avec la nôtre.

Eh bien non, ce qui se passe au Los Angeles Times n'est que la pointe émergée de l’iceberg. Sous l’eau, depuis des décennies, c’est moins spectaculaire mais tout aussi grave : les conditions de travail des journalistes à la recherche ont reculé avec le transfert de la production des grands réseaux à des sous-traitants; en coupant dans les effectifs journalistiques des hebdos régionaux et des radios, les conditions de travail moyenne de l’ensemble de la profession ont régressé; et en gardant les tarifs au feuillet à peu près au même niveau depuis plus d’un quart de siècle, l’industrie des magazines a fait reculer le salaire moyen de la profession...

A présent, on s’émeut du Los Angeles Times et on va s’émouvoir de La Presse, si les mauvaises nouvelles se confirment. Mais tout cela s’inscrit dans cette plus vaste tendance face à laquelle il serait temps de se regrouper, et cesser de prétendre que ces histoires de dégradation des conditions de travail ne concernent que "les autres".