samedi 17 janvier 2009

Le journalisme «multiplateforme»: deux façons de faire

Le journaliste et professeur australien Stephen Quinn a beaucoup écrit sur le journalisme polyvalent ou multiplateforme ("Convergent journalism") depuis quelques années. C'est un optimiste. Il croit que la "convergence réussie peut satisfaire le double objectif du journalisme de qualité et des pratiques commerciales rentables". Comment concilier les attentes des patrons de presse et celles des journalistes dont plusieurs craignent que la nouvelle polyvalence ne serve que les intérêts des entreprises et conduise à la superficialité de l'information? Quinn est l'un des nombreux auteurs que cite Jean-Pierre Bastien,qui termine sa maîtrise en journalisme international à l'Université Laval et qui a consacré sa réflexion de fin d'études au journalisme multiplateforme. Je lui ai demandé de résumer les conclusions d'un travail fort bien documenté qui s'appuie aussi sur les commentaires de plusieurs journalistes et sur l'observation de collègues lors de stages.


À l’ère d’Internet et du multimédia, les journalistes sont de plus en plus appelés à se démultiplier pour satisfaire les besoins grandissants des entreprises de presse qui ont diversifié leurs activités médiatiques. Les journalistes de la presse écrite sont particulièrement touchés par cette métamorphose qui les oblige à produire, en plus de leurs articles, des vidéos, des photos et parfois même des reportages audio.

C’est ce qu’on appelle le journalisme multiplateforme. L’expression s’est retrouvée sur toutes les lèvres au cours de l’année 2008, parfois précédée d’injures, d’autres fois prononcée avec une note d’enthousiasme et d’espoir.

Il existe en ce moment deux certitudes qui font l’unanimité chez ceux qui ont étudié la question du journalisme multiplateforme. (1) Les journalistes devront éventuellement être en mesure de travaille sur n’importe quelle plateforme, et (2) demander aux journalistes de tout faire de façon simultanée n’est pas une solution envisageable, sauf dans des cas exceptionnels.

Quel est donc le modèle à suivre? La réponse est encore floue, mais on voit déjà apparaître deux déclinaisons du journalisme multiplateforme.

D’une part, celle du journalisme qui utilise le multiplateforme pour satisfaire l’instantanéité et la consommation boulimique d’informations. C’est le modèle du journaliste-pieuvre, affublé d’un micro et d’une caméra, et dont chaque sortie sur le terrain est maximisée dans le but de produire le plus de contenus possible. À l’autre bout de la chaîne de production, l’information est passée à la moulinette, diluée et redistribuée à travers un maximum de médias appartenant à un même groupe. C'est ce que semble vouloir faire Quebecor.

Dans l’état actuel des choses, où la nouvelle brute ressemble de plus en plus à une espèce menacée par les prédateurs déguisés en agrégateurs de nouvelles et autres Google News, on peut douter de la viabilité d’un tel modèle. La survie d’un média qui s’adonne à ce genre de pratique résidera peut-être dans les nouvelles technologies de diffusion comme l’information sur téléphone cellulaire et autres gadgets technos qui déclinent l’actualité dans sa forme brute et instantanée.

D’autre part, certains médias ont choisi la voie de la « valeur ajoutée » en utilisant le multiplateforme pour produire des contenus journalistiques de type multimédia qui donnent une nouvelle profondeur, voire une nouvelle dimension à l’information. Les médias qui empruntent cette voie utilisent de petites équipes formées de journalistes polyvalents qui travaillent en collaboration sur des projets de longue haleine. Cela pourrait donner, à terme, un second souffle au journalisme d’investigation.

C’est, dans une certaine mesure, la vision que des journaux à grand tirage comme le Globe and Mail, le New York Times et le Washington Post ont adoptée. Ce modèle nécessite toutefois des investissements financiers et humains massifs dans le but de fournir de nouveaux contenus qui marient l’écrit, la photo, l’audio et la vidéo, plutôt que de reproduire ce qui a déjà été publié dans la version papier du journal.

L’argument selon lequel le multiplateforme transformera les journalistes en « bons-à-rien-faire » polyvalents, mais n’excellant dans aucune discipline, ne tient plus la route. Le modèle dominant du journaliste sachant tout faire, de l’écrit à la vidéo en passant par l’audio et la photo, finira éventuellement par s’estomper à mesure que de nouveaux postes, comportant de nouvelles tâches, seront créés au sein des entreprises de presse qui exploitent le multiplateforme. Peu à peu, chacun trouvera sa niche, sa spécialisation, ou ce dans quoi il excelle et y travaillera quotidiennement.

La convergence au service des journalistes

Le journalisme multiplateforme peut servir le double objectif de la rentabilité et de l’information de qualité à condition qu’il produise des reportages multidimensionnels au contenu approfondi plutôt qu’une masse informe d’actualités instantanées et superficielles. À cet effet, l’expérience du quotidien britannique The Guardian constitue un modèle de réussite. Bien que son édition papier tire à 300 000 exemplaires (un faible tirage en comparaison avec le quotidien populaire The Sun, qui publie en moyenne 3 millions d’exemplaires), le site web du Guardian (Guardian.co.uk), est devenu le site d’information rattaché à un quotidien le plus populaire du Royaume-Uni. À titre indicatif, le Guardian attribue ce succès à un processus de transition auquel les journalistes ont participé activement, et qui a mené à l’adoption d’un mode de production multiplateforme basé sur le volontariat et servant à produire des reportages multimédias plutôt que des nouvelles instantanées.

Le journalisme arrive donc à la croisée des chemins. Dans le pire des scénarios, les entreprises de presse se limiteront à exploiter le multiplateforme comme un outil par excellence pour maximiser la production en exigeant des journalistes qu’ils se multiplient dans tous les médias, ce qui revient, en somme, à attacher un boulet à la cheville du journaliste qui lutte déjà pour garder la tête hors de l’eau. À l’opposé, les professionnels de l’information peuvent saisir l’occasion pour donner un second souffle au journalisme en utilisant cette impulsion technologique et organisationnelle pour forger une nouvelle pratique qui redonnera ses lettres de noblesse, sa créativité et son mordant au chien de garde de la démocratie.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Quand la photo est apparu dans les journaux, on a emgagé des photographes; on n'a pas demandé aux journalistes de l'écrit de s'intituler photographe du jour au lendemain.
Pourquoi demander aux journalistes, en 2009, de tout faire ? le texte, le son, l'image et les p'tites vues....
Ceux qui demandent celà sont en manque de moyens financiers, comme TQS...
Que chaque corps de métier continue à faire son boulot et qu'une nouvelle profession émerge : l'intégration de toutes ces productions pour utilisation, ici et là, selon le besoin.
On ne peut pas être maître en tout !

Anonyme a dit…

Vous avez mille fois raison à propos du Guardian.

Mais le journalisme est mort

Le Canard Réincarné a dit…

Si vous êtes vraiment à la recherche de perspectives alternatives en matière de médias, il me semble qu'il va falloir regarder dans des endroits bien étranges. Je prétends depuis maintenant plusieurs années que l'environnement médiatique du milieu minoritaire francophone canadien fournit un tel "banc d'essai". Nous connaissons fort bien comment les prédateurs s'y dissimulent et ont miné notre environnement médiatique. Une reprise de cet environnement pourrait vous être d'intérêt.