vendredi 20 février 2009

Mutation souhaitée à la Presse canadienne

La Presse canadienne (Canadian Press) est une vieille dame très digne (disons plutôt un vieux monsieur, pour éviter qu'on m'accuse de sexisme) dont les habits d'une autre époque ne correspondent plus aux exigences vestimentaires du jour. Ses dirigeants souhaitent abandonner le statut de l'agence de presse (coopérative, sans but lucratif), qui date de 1923, et faire de l'entreprise une société commerciale. Le statut actuel,qui empêche de faire des bénéfices et de dégager des fonds pour l'investissement, handicape l'agence et lui permet difficilement de s'adapter comme elle le souhaiterait à l'ère numérique.Le changement de statut est aussi nécessaire pour faire face aux problèmes financiers que créent les difficultés de capitalisation des régimes de retraite de ses employés.

Pourquoi s'intéresser à la Presse canadienne? Parce que sans elle, la circulation des nouvelles, d'une région à l'autre du Canada, ne serait pas la même. L'agence fournit,en anglais et en français, aux quotidiens, aux stations de radio et de télévision et à plusieurs sites d'information ( Google, Yahoo, Cyberpresse, Canoë,etc.), souvent sans journalistes sur le terrain, des nouvelles des collines parlementaires ( l'agence a une vingtaine de journalistes en poste à Ottawa) et de tous les coins du pays. C'est aussi l' agence qui alimente les médias canadiens en nouvelles internationales grâce à une entente avec l'agence américaine Associated Press. C'est un service essentiel, dont l'avenir ne peut laisser indifférent.

Fondée par les journaux, la Canadian Press s'est construite sur le principe d'échanges de nouvelles entre les quotidiens membres de la coopérative, les sociétaires, qui assuraient aussi les coûts de fonctionnement (le gouvernement fédéral a contribué au démarrage). Dans les faits, au fil des ans, l'agence s'est transformée. Les journalistes de l'agence vont graduellement produire eux-mêmes de plus en plus de nouvelles, que l'on vendra aux divers médias, mais aussi, selon leurs besoins respectifs, à des institutions gouvernementales et à des entreprises. Les journalistes de l'agence on été parmi les premiers au Canada à pratiquer le journalisme multiplateforme et la vente de vidéos constitue maintenant pour l'agence une source de revenus en forte croissance. Les textes des quotidiens membres ne représentent plus qu'une infime partie du service.Le concept de coopérative, fondé sur l'échange entre les membres, n'a plus guère de sens.

Parallèlement le financement de l'agence s'est transformé. Il y a une dizaine d'années, 65% de ses revenus provenaient encore des quotidiens. Aujourd'hui,leur part n'est plus que de 35%. Le déclin annoncé des journaux et la croissance des nouveaux médias change davantage la donne.Les projections de l'agence pour les dix prochaines années s'appuient sur une part de revenus de plus en plus grande provenant des nouveaux médias. Sur son site, en anglais, l'agence se dit à l'avant-garde de la révolution numérique. "The Canadian Press is Canada's most trusted news source leading the digital age." Son président, Eric Morrison, n'aime pas la métaphore de la vénérable vieille dame. Il préfère voir l'agence comme un adulte dynamique qui a su s'adapter à toutes les technologies, de la radio à l'internet et autres "smartphones", et qui doit maintenant se donner les outils qui lui permettront de faire face aux changements profonds qui s'annoncent.

Une question se pose tout de même. Dans ses habits neufs d'entreprise commerciale, la Presse canadienne saura-t-elle conserver, à quelques années de son centenaire, les principes et les valeurs qui font d'elle une organisation que plusieurs considèrent comme un véritable service public. Le président Morrison assure que oui. Il parle d'une charte qui garantirait les valeurs rédactionnelles et l'indépendance de l'agence. Il évoque d'autres agences (la Press Association en Grande-Bretagne ou l'agence de presse australienne) dont les dirigeants ont aussi jugé nécessaire d'abandonner le statut de coopérative. Une chose semble claire: sans changement de statut, et en restant dans le giron de quotidiens eux-mêmes en difficultés, l'avenir de l'agence est sans doute bloqué.

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