samedi 20 décembre 2008

Si les médias traditionnels se ratatinaient?

Notre ami Benoît Michaud s'est demandé ce qui pourrait se passer si de plus en plus de citoyens abandonnaient les médias traditionnels pour s'informer sur Internet.Il a mené sa petite enquête auprès de journalistes du web et des "vieux" médias. Comment perçoivent-ils les différences dans le travail des uns et des autres? Les résultats de sa consultation suivent.Il m'attribue au départ un pouvoir de devin que je n'ai pas.Il est rare que ce qui se passe chez nos voisins américains n'ait pas de conséquences ici.


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Les journaux canadiens ont commencé à souffrir. Monsieur Sauvageau l’avait prédit dans son plus récent billet, dès la veille de l’annonce des compressions chez Sun Media / Quebecor. D’autres mauvaises nouvelles ont suivi, notamment à La Presse.

Est-ce davantage imputable à la crise financière ou à la montée en puissance des médias gratuits dont ceux d’Internet, qui semblent gratuits pour autant qu’on défraie notre connexion ?

Et si Internet déclassait les médias traditionnels, aurait-on encore droit aux mêmes services journalistiques?

Les journalistes-rédacteurs web sont-ils capables de reprendre le flambeau des journalistes traditionnels appelés à réorienter leur carrière? Y perdrons-nous au change?

Pour y voir plus clair, j’ai mené une petite enquête pour laquelle cinq journalistes du web et autant de journalistes traditionnels m’ont exposé leur vision de ces deux mondes, il y a tout juste quelques semaines.

J’avais alors approché des artisans de SRC-RDI, TVA-LCN-Canoe-Le Journal de Montréal, La Presse-Cyberpresse… des entreprises au sein desquelles ces deux types de journalisme se côtoient.

Et pour ne pas mélanger des oranges et des pommes, nous cherchions à décrire le « rédacteur typique », puisque son métier est pratiqué autant chez les « trad » que chez les « néo ».

RÉSULTATS

Sans aucune prétention scientifique, voici donc comment ces deux « classes » de journalistes se perçoivent mutuellement.

Le rédacteur web « moyen » a près de 30 ans, soit une dizaine d’années de moins que le rédacteur traditionnel. L’artisan des nouveaux médias est donc moins expérimenté : selon les artisans consultés, il aurait environ la moitié de l’ancienneté de son vis-à-vis de l’autre école.

Les surnuméraires et les contractuels seraient très légèrement plus nombreux au web, mais la durée de la journée de travail s’équivaut dans les deux camps.

Le rédacteur web travaille souvent à partir de textes déjà produits par d’autres sources et il fait trois fois plus de mises à jour.

Le rédacteur traditionnel logera près de quatre appels (ou courriels) par jour pour vérifier une information, tandis que celui du web en fera un seul, ou même moins.

Presque toutes les exclusivités des douze derniers mois auraient émané du secteur traditionnel, laissant au web quelques rares primeurs.

Quand on considère l’ensemble des journalistes (et non seulement les rédacteurs), on estime que les scribes de l’ère 2.0 sont très peu nombreux à se rendre sur le terrain, sur les lieux d’un événement à couvrir.

Enfin, l’un des travailleurs interrogés croit que la formation exigée d’un rédacteur web pourrait être de niveau collégial plutôt qu’universitaire.

Bref, on constate que le clivage est bien réel dans nos salles de nouvelles. Les adeptes du journalisme classique ont davantage le temps d’explorer, de pratiquer un journalisme plus fouillé. Leurs camarades du web doivent trop souvent se contenter de jouer un rôle d’étalagiste de l’information, confinés à un perpétuel exercice de réécriture.

Ce n’est rien pour rassurer une clientèle qui, en plus de devoir éventuellement délaisser sa « gazette » au profit d’un écran cathodique, ne bénéficiera pas des mêmes standards de qualité.

Car la plupart des journalistes consultés observent qu’il y a actuellement deux classes de journalistes : « Ils n'ont pas les mêmes conditions de travail, ils ne sont pas embauchés en fonction des mêmes critères. Et si l'esprit du travail reste le même, leur quotidien est très différent. »

L’un des artisans interrogés avance que « la nature de leur médium fait des journalistes web une sorte "d'intrus" dans une entreprise de radio-télédiffusion comme Radio-Canada. Alors que dans une salle de rédaction d'un journal, j'imagine qu'ils se confondent mieux avec les autres journalistes. »

Plusieurs croient que la migration des médias traditionnels vers le web devrait harmoniser ces écarts. « Le web est en train de changer la façon de faire du journalisme. En ce sens, les journalistes web ont probablement une longueur d'avance sur leurs collègues radio-télé, pour peu qu'ils réalisent l'importance de se servir de l'audio et de la vidéo pour appuyer leurs contenus écrits. Tôt ou tard, les journalistes dits "traditionnels" n'auront plus le choix d'adapter leur travail, leur cueillette et leur rendu en fonction d'une diffusion dans l'univers numérique (web, téléphones et al.). Ceux qui résisteront, seront plus ou moins condamnés à "disparaître"... »

Assisterons-nous à une consolidation des deux formes de journalisme? Pour l’un de nos répondants, c’est indéniable : « Partout aux États-Unis et ailleurs, on remarque ce fait. Le web et le traditionnel sont un seul et même journalisme », plus complet et plus diversifié.

Cet avis n’est cependant pas partagé par toute la confrérie, comme en fait foi un autre commentaire selon lequel « il y aura toujours deux classes de journalistes: ceux qui font de la recherche de première main et de la rédaction, et ceux qui font de la réécriture et mettent en ligne des textes provenant de source extérieures. »

Qu’en pensez-vous, chers internautes? La prise de contrôle du web par de solides journalistes parfois issus du papier sera-t-elle assez rapide et efficace pour faire oublier la déconfiture de l’imprimé? Serons-nous aussi bien servis? Ou mieux encore?

Benoît Michaud

(collaborateur à la recherche pour le documentaire auquel ce blogue est associé)

PS – Quant à la typologie des journalistes du web, merci aux blogueurs Olivier Niquet et Pascal "Renart" Léveillé pour leurs observations.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Le journal du futur sera composé, assemblé, rédigé de la même façon qu'avant. Aujourd'hui, dans la salle des nouvelles d'un journal-papier, tout est déjà sur ordinateur; on ne voit plus de journaliste avec un calepin ou un vieux dactylo. Le journal de demain sera, à la limite, comme la version pleine-page du Devoir où les abonnés payants peuvent consulter tout le journal-papier directement sur leur écran.
Les vieux journalistes qui résistent encore à cette nouvelle technologie me rappellent les graphistes qui refusaient de travailler sur ordinateur dans les années 90.... Ils furent rapidement mis au chômage.
Le journal de demain sera un mélange du journal-papier et du trop bref «journal-web» de certains medias, comme 20minutes.fr ou Rue89...
Le web peut facilement englober les deux approches.

Renart Léveillé a dit…

Plaisir!

Et en plus, ça m'a permis de découvrir ce blogue très intéressant.