À la veille du Congrès de la Fédération professionnelle des journalistes, consacré pour bonne part à l'adaptation que le web impose au journalisme, je vous invite à lire les réflexions qu'inspire à Benoît Michaud sa fréquentation soutenue et attentive de l'internet. Benoît est journaliste-recherchiste et formateur en recherche internet, et sa collaboration à la recherche a été fort appréciée lors de la préparation du documentaire auquel ce blogue est associé.
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Une quinzaine d’années ont passé depuis que j’ai usé les bancs de l’université où l’auteur de ce blogue me faisait réfléchir au métier de journaliste et à ce que j’en ferais. Alors que Florian Sauvageau partageait ses idéaux comme fidèle lecteur des journaux imprimés, j’allais « sombrer » dans la techno en devenant le loyal abonné d’un fournisseur Internet, dès 1994.
Même en passant des nuits blanches à m’initier passionnément à cette nouveauté, j’étais loin de me douter qu’Internet deviendrait ma principale source d’information, devant les médias traditionnels.
Ainsi, depuis quelques années, je consomme surtout la version web des oeuvres journalistiques qui, avouons-le, émanent très souvent de la presse écrite ou électronique traditionnelle.
Néanmoins, Internet transforme le journalisme de plusieurs façons. Le blogueur-vedette, mouton noir des tenants d’un journalisme plus classique, ne serait-il pas qu’un petit échantillon de ces journalistes de la toile? Le plus coloré, peut-être!
Pour dresser un portrait du cyber-journalisme en 2008, il suffit de s’arrêter à la provenance des informations factuelles ou commentées qui retiennent notre attention sur le web. Quel type de journaliste se cache derrière chacun des textes consultés?
Je me suis adonné à cet exercice sans aucune prétention scientifique… Je crois me situer dans la moyenne des « internautes avides d’information ».
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TYPOLOGIE DES JOURNALISTES QUI ABREUVENT INTERNET…
1) Le journaliste traditionnel copié-collé
Il livre sa marchandise pour le média traditionnel d’abord, même si Internet s’en servira.
Je le lis à travers les textes des journaux du matin repris par Canoe ou Cyberpresse. Je le retrouve aussi dans les textes d’agences de presse d’ici et d’ailleurs (en considérant les agences comme des sources traditionnelles).
En 2008, j’estime que ces bons vieux artisans se trouvent derrière 35% de l’information journalistique que je consomme sur Internet, les salles de rédaction traditionnelles étant plus peuplées que les nouvelles sections destinées aux petites équipes du web. Ils seront de moins en moins épargnés par la tendance des patrons à vouloir publier la nouvelle de plus en plus vite.
Depuis peu, cette compétition s’est installée entre les sites web des entreprises de presse qui, jusqu’à récemment, ne comparaient que leur journal du lendemain ou leurs grands bulletins à heure fixe.
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2) Le journaliste-rédacteur web
Plusieurs demeurent isolés du reste de la salle de rédaction, occupés à reformater inlassablement des textes et/ou à repiquer des segments audio et vidéo.
Ce sont ceux et celles dont Cyberpresse, Radio-Canada et LCN affichent rarement le nom.
Ils sont les auteurs de 30% de ma consommation de cyber-information. Ces journalistes de l’ombre devraient graduellement s’impliquer dans des tâches jusqu’à maintenant remplies par les « traditionnels » : maximiser l’usage du téléphone, se rendre sur le terrain, se consacrer à des enquêtes, etc.
Lorsqu’ils seront parfaitement fusionnés avec la première catégorie, ils représenteront environ 50% des cyber-journalistes dont je consulte les textes. Déjà, des salles traditionnelles et web se fusionnent, comme on l’a vu à La Presse / Cyberpresse. Chez Gesca, ce n’est que depuis cet automne que les exclusivités ne sont plus réservées au papier du lendemain matin.
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3) Le blogueur-vedette
C’est l’équivalent du columnist. Celui et celle dont les coups de gueule attirent l’attention et font réagir. Généralement associé à un grand média, il est plus influent que veulent bien le montrer certains palmarès de blogueurs qui ne tiennent compte que du nombre de liens entrants. Car ces blogueurs de premier rang sont moins enclins à diriger leurs lecteurs vers des références complémentaires sur le web, se privant ainsi des retours d’ascenseur.
Michel C. Auger et Chantal Hébert sont du nombre. Récemment, le légendaire Patrick Lagacé clavardait en direct avec sa camarade Michèle Ouimet pour réagir au débat des chefs québécois sur Cyberpresse, au fil des minutes d’empoigne entre les trois opposants.
Ces blogueurs sont derrière 20% de mes lectures en ligne. Leur importance est grandissante mais ils ne dépasseront probablement jamais les columnists et les chroniqueurs du papier. Même si Wired anticipe que la mode des blogues tire à sa fin, je prédis que les blogueurs-vedettes seront à l’origine de 25% des textes que je lirai sur le web en 2020. Un texte sur quatre viendra d’un Lagacé de ce monde.
À Radio-Canada, on les appelle les carnettiers et ils affichent une certaine retenue en raison des politiques journalistiques du diffuseur, favorisant l’impartialité.
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4) Le petit blogueur indépendant
Il s’agite strictement pour le web, souvent dans une niche trop spécialisée pour un journal papier. Ce journaliste adopte généralement la formule du blogue. Faute d’encadrement et de soutien, sa production peut manquer de constance et de moyens.
Ces carnets forment ce qu’on appelle « la longue traîne » des blogues de petite envergure qui marquent des points en s’adressant à une clientèle pointue.
Patrick White et Jean-Pierre Cloutier occupent cette catégorie. Malgré qu’ils soient seuls dans leur bulle virtuelle, ils sont respectés d’un lectorat qui traverse les frontières.
Ces Gaulois retiennent 10% de mon attention mais pourraient sûrement grimper à 20% dans une dizaine d’années, grâce à un engouement semblable à celui que créent les canaux spécialisés, les magazines spécialisés, etc. Les médias de niche. De plus, les probables mises à pied dans les grands médias inciteront quelques scribes à rebâtir leur univers et à se consacrer à un domaine spécifique…
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5) Le prolétaire multiplateforme
Rarement syndiqué, il peut travailler de très longues heures pour faire sa place au soleil, souvent en manipulant plusieurs instruments à la fois, du clavier à la caméra en passant par le micro. Souvent condamné à la réécriture des nouvelles, il fait partie de ceux qui alimentent les journaux gratuits.
Pour un jeune finissant en communication, c’est une belle école qui lui permet de se faire connaître plus largement que s’il était confiné à un média étudiant « d’autrefois » dont l’audience est plus restreinte. Le public devra cependant se montrer indulgent devant la qualité parfois réduite d’un reportage vidéo tourné sans encadrement, par exemple.
Les jeunes recrues du journal 24 Heures (web et papier) ainsi que les quelques artisans de Matinternet (Branchez-vous) font partie de cette tendance.
J’estime que 5% de ma cyber-consommation d’information repose entre leurs mains.
Ce chiffre devrait se maintenir dans les prochaines années car, malgré le succès de 24 Heures, d’autres organes comme Matinternet et Showbizz.net connaissent une période difficile depuis leur acquisition par Branchez-Vous.
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6) Le journaliste citoyen
Il s’improvise journaliste pour alimenter un blogue souvent partisan ou un site collaboratif comme CentPapiers… Il va rarement sur le terrain et ne tire généralement pas de revenu de ce hobby qui s’apparente parfois à l’action d’un pamphlétaire.
Les plus sérieux pourront éventuellement se hisser au rang de « blogueur indépendant » (ci-dessus). D’autres recevront un traitement royal des partis politiques en obtenant l’accréditation pour se mêler aux « vrais » journalistes dans la couverture de grands rassemblements et de campagnes électorales. Sont-ils ainsi récompensés pour leur allégeance avouée et leur propagande efficace?
Ce journalisme (ou pseudo-journalisme?), parfois pratiqué sans aucun souci d’objectivité et de respect des règles déontologiques, représente une fraction infime de mes lectures. La possibilité que s’y glissent des « spin doctors », des relationnistes et de sombres fumistes devrait continuer de me garder à distance de ces écrits.
Par contre, je vois en Wikipedia une réussite issue de la collégialité entre les internautes. Il m’arrive parfois même de cibler Wikipedia pour trouver une réponse. Toutefois, si c’est une nouvelle source prometteuse pour les journalistes (à utiliser avec prudence), ce n’est pas un produit journalistique en soi.
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Mes habitudes de lecture sur Internet sont-elles représentatives de celles de la « masse »? Est-ce que j’oublie certaines catégories de journalistes dont profite la toile? Mes prédictions pour les dix prochaines années correspondent-elles aux vôtres? Votre opinion est la bienvenue.
On remarquera que seuls les scribes #3 et #4 vivent dans la blogosphère. Le #6, journaliste citoyen, compte parmi ceux qui s’y aventurent. Ensemble, ils ne produisent que 30% des textes journalistiques que je puise sur le web… S’ils frôlent les 50% dans dix ans, ce serait une nette croissance mais l’information « hors-blogue » continuerait vraisemblablement de dominer.
Quoi qu’il en soit, on peut se demander si les détracteurs du phénomène du blogue n’accordent pas une importance démesurée au contenant plutôt qu’au contenu journalistique. Pensons-y bien : dans les faits, un blogue est une enfilade de textes journalistiques parfois très classiques, offrant souvent des références plus précises qu’un article conventionnel, grâce aux hyperliens.
Aussi, les pourfendeurs du « journalisme 2.0 » oublient-ils qu’un blogue de citoyen sans aucune prétention journalistique ne devrait même pas faire partie de cette analyse de l’évolution du métier?
Quant aux commentaires discutables des internautes, publiés tout au long de ces nouveaux canaux, il faut les prendre pour ce qu’ils sont : l’équivalent des lettres d’opinion publiées par un journal papier, mais avec moins de censure donc plus de dérapages.
Suis-je seul à penser que les journalistes blogueurs ne menacent pas les fondements de la profession et qu’ils ne seront jamais plus lus que les chroniqueurs et columnists de nos journaux papier actuels?
Enfin, dans la majorité de nos lectures à l’écran, ne continuons-nous pas d’apprécier le journalisme classique simplement transposé vers un nouveau support ?
À vous la parole!
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Benoît Michaud
5 commentaires:
Je ne suis pas journaliste. Je crois que vous avez raison dans votre analyse. Ce qui me plait dans les blogues c'est qu'un citoyen ordinaire, non journaliste, peut intervenir. Dans le journalisme classique on pouvait envoyer une lettre d'opinion mais le plus souvent elle allait à la poubelle. Dans les blogues c'est plus rare. Vous dites qu'il y a des dérapage. Vrai. Mais parfois l'éditorialiste ou le chroniqueur dérape aussi. Autrefois il demeurait sans réplique, maintenant, non. On peut aussi l'approuver si l'on est d'accord. J'ai remarqué que les vieux éditorialistes, vieux dans le métier, sont très réticents à bloguer. La critique les rebute, je crois. Le danger, il me semble, pour les journalistes professionnels, comme les éditorialistes, c'est la fatuité, la conviction que leur statut leur permet des jugements sans appel. Ils possèdent la vérité et nous l'enseignent. Un clergé laïc.Le blogue introduit un peu d'équilibre.
Albert Champagne
J'ai bien apprécié votre analyse. Pour ma part, je lis une vingtaine de blogues tous les jours et je peux y mettre mon grain de sel aussi souvent que le cœur m'en dit.
J'aime la possibilité de dialoguer avec le blogueur ou avec des lecteurs comme moi.
les lettres aux journaux ne sont pas souvent publiées, je le sais par expérience !
J'aime bien l'approche du Devoir, où on peut réagir à certains articles (pas tous) écrits par des journalistes ou commentateurs professionnels.
Les journalistes devraient-ils avoir peur des blogues ? Je ne pense pas. La nouvelle viendra presque toujours du journaliste, qui est plus en mesure de savoir avant tout le monde ce qui se passe, grâce à ses contacts, son affiliation à des chaines comme CNN, Reuters, etc...
Les blogues échappent à la censure traditionnelle imposée par le rédacteur ou le proprio du journal et c'est tant mieux !
Oui, il y a des dérapages sur les blogues mais on s'y habitue très vite et on n'en tient pas compte.
À quand des sites comme DIGG où tous et chacun pourront mettre une nouvelle à la disposition de tous ?
Bertrand Léger
Votre analyse est intéressante, mais je suis en désaccord avec le traitement que vous faites du "journaliste citoyen" comme n'étant qu'un écrit "partisan".
Je ne pense pas qu'il soit forcément plus partisan que ne l'est un écrit de Patrick Lagacé ou un d'André Pratte.
J'ai couvert par plaisir et par intérêt le 400e de Québec, sur une période de 8 mois. Cela m'a permis de faire du journalisme d'enquête que les quotidiens n'ont plus les moyens de pratiquer ... mes textes sont longs...
Je vous invite à vous rendre sur mon blogue "Québec en Amériques" http://quebec.blog.lemonde.fr et à y lire deux textes en particulier qui sont du journalisme d'enquête, dont vous ne trouverez pas d'équivalent dans les quotidiens...
lisez le "Legs de la France" publié le 5 décembre ou encore la "démission du ministre Couillard" du 13 juillet... (PS: j'ai reçu quelques courriels de gens qui ont vécu ces événements et m'ont affirmé qu'il s,agissait d,analyses rigoureusement exactes et très pertinentes)
si vous avez du temps, jetez un coup d'oeil sur mes textes "francophonie et diversité" ou "langues autochtones"...
je ne pense pas que le fait que je prenne une position écologiste pour soutenir la diversité linguistique diminue la qualité de l'argumentation et la solidité du raisonnement... Ceux qui soutiennent une position différente s,appuient simplement sur d'autres impératifs (économiques ou autres)
Autre commentaire, certains blogues scientifiques et autres ne sont pas ouverts aux commentaires... J'ai décidé de ne pas ouvrir le mien.
Mes salutations blogueuses,
Alain Lavallée
blogue ""Québec en Amériques"
http://quebec.blog.lemonde.fr
Ce billet j'ai bien aimé ce billet. Il m'a inspiré une réflexion (assez longue) que j'ai publiée sur mon blogue. 4x21.wordpress.com. Au plaisir de vous y voir !
Hello mate nice blogg
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